Sur le chemin j’ai marché. Une fine pluie et beaucoup de soleil. Mes pieds enlacés au creux de deux vraies sérieuses chaussures de marche m’ont sauvegardé des rougeurs dues à l’effort car je n’ai pas l’habitude de faire autant de kilomètres et n’aime presque carrément pas cette activité. Prendre autant de temps pour se déplacer…quelle idée. Sur le chemin j’ai rencontré bien des gens, bien des routes, bien des environnements. Ceux-ci se sont trouvés autour de moi et à l’intérieur aussi. Sur le chemin j’ai souri et pleuré, râlé, rigolé, je me suis moqué de moi, je me suis regardé mais jamais n’ai jugé ni condamné qui que ce soit. Comment est-ce possible ? Peut-être n’y avait-il pas de place pour ces choses qui habituellement viennent me chercher malgré mes 52 ans, un métier d’accompagnant et l’approche qui sait d’une certaine sagesse. Sur le chemin j’ai rencontré la simplicité et m’y suis accroché avec humilité. Qu’est-ce là que faire 30 000 pas sur une journée, sans autre but que celui de poser un pied devant l’autre, inlassablement avec un sac sur le dos, un fardeau dit-on, celui de ma vie, celui de ce sac, celui que j’ai rempli en conscience avant le départ et qui constitue clairement le reflet de qui je suis, de qui je transporte au quotidien à l’intérieur et l’extérieur de moi. Cet été j’ai cheminé sur le chemin de Compostelle et fait fi de toute cette agitation folle. Serais-je en fuite ? Non, je suis bien là, je suis rentré chez moi, retrouvé mes activités et un sillon s’est inscrit pour une part en mon creux. Suis-je encore moi ? Suis-je pèlerin ? Que cela signifie-t-il ? Suis-je bien à cette place, à Ma place ? Suis-je sur mon/un/le bon chemin ? Nous sommes tout de même contemporains d’une époque qui nous invite à nous interroger, non ? J’ai lu qu’en l’an 1000, à l’heure où St jacques attisait les foules, il y avait 1 million de pèlerins qui empruntaient la route chaque année. Aujourd’hui c’est deux cent mille âmes recensées annuellement pour le seul St-Jacques. Je trouve que c’est beaucoup à une époque où la science a remplacé « Le Père ». Mais ce nombre grandit. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela veut-il bien dire ? Sur le chemin je me suis arrêté. J’ai parcouru 175 kilomètres, marché 9 jours, rampé parfois. J’ai parcouru à ma façon et celui de mon couple pèlerin les sentiers séparant Le Puy en Velay d’Estaing. Notre première étape. J’ai ôté quelques peaux. Je me sens bien. Qu’y ai-je rencontré outre celle qui m’accompagne, que j’accompagne et outre ce moi-même cheminant ? Des jeunes, des vieux, des femmes et des hommes, d’autres couples, des familles entières, des grenouilles de bénitiers, des types à pieds nus, des révoltés, des sages, des copains qui s’amusent, des sportifs, des esseulés, des businesswomen, des pdg à la retraite, des artisans, des glandeurs torturés, des gens intelligents, des stressés, des mous du genoux, des folles, des coincés du…, des baroudeurs et des handicapés, …des gens joyeux si je devais leur trouver un qualificatif commun. Sur le chemin je me suis arrêté et j’ai rencontré la nature, ma propre nature. Je ne pouvais plus mentir ou m’imaginer quoi que ce soit. J’étais nu devant moi. C’est bon d’être nu devant soi. J’ai rencontré ma nature et ma finitude sacrée face à ce vaste vivant immuable et présent. La présence, cette présence je l’ai goûtée et elle m’a rassasié. La belle présence de ma simple nature oui au milieu du grand tout. Humilité : l’humilité m’a transmis ses vertus. Don : le don d’un soi ouvert m’a communiqué sa façon d’exister. Remerciement : m’a chanté à l’oreille chaque jour qu’il était un nectar. Acceptation : m’a entendu et à vu que nous étions liés par la terre. Accords tacites…se sont dédoublés pour se réunir au cœur d’un effort aligné. Accueil…alors que je cueille le La et la musique de ces pas sur la caillasse et le sable chaud sous ma deuxième peau. Des pardons et des mercis pour tous les manquements dus à la perfection de l’imperfection. Des remerciements pour la respiration qui émane de la simplicité. De l’amour pour la simplicité de l’amour. Sur le chemin j’ai foulé une terre qui a senti sur son dos, son écorce, son échine veloutée le pied de millions de pèlerins, d’hommes, d’enfants et de femmes qui comme moi tel l’alchimiste de Coelho a trouvé quelque chose de beau, de simple et de beau, comme la nature de la vie elle-même à même ses deux pieds.
Rodolphe - été 21
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